Vie et mort d’un camp à Saint-Denis – Expo, discussion et témoignages sur conditions des demandeur-ses d’asile

Frédérique Le Brun aborde en photo-reporter, les problématiques de l’exil et de l’émigration, problématiques constitutives de sa personne. Déjà enfant, elle est touchée par la question de la migration. “Exilée” de sa Bretagne, elle oscille entre Paris, le Finistère et des origines italiennes. A cela s’ajoute l’engagement de sa mère, militante antiraciste, qui l’emmène très tôt en manifestations pour défendre les droits des exilés des immigrés. Plus tard, lors de sa maîtrise en sociologie à Rennes, elle travaille sur les procédures d’expulsion.

La photographie s’est invitée en pointillés dans sa vie. Elle arpente dans les années 1990 les campagnes du Kurdistan, de l’Irak et de l’Iran qu’elle photographie et documente. Dans sa pratique de photojournaliste, elle est appelée par la réalité sociale, mais toujours en recherche de l’intime, comme une invitation dans la vie de l’Autre. Que ce soit à travers Moyen-Orient ou les campements d’exilés en France, elle se retrouve face aux mêmes problématiques, des problématiques de détresse, d’angoisse, d’attente, de fuite vers l’espoir, vers une vie meilleure. La situation de guerre là-bas résonne ici.

“Vie et mort d’un camp à Saint-Denis” est un projet né à l’occasion d’un stage de photographie auquel a participé Frédérique. Projet qui ne pouvait pas s‘arrêter à la fin de ce temps d’apprentissage, tant Frédérique s’y sentait existentiellement liée. Actuellement en phase de finalisation de l’écriture d’un livre sur le Kurdistan d’Irak, Frédérique se retrouve aux deux extrémités d’un même fil ; la photographie devient alors le pendant de l’écriture, et une manière de faire entrer dans l’histoire, de témoigner visuellement, du long voyage des exilés.

Au tout début, en août 2020, il y avait quelques tentes.
Puis 100, 200, 300
sous la bretelle de l’autoroute A1 en face du Stade de France.
L’État français ? Visible sous la forme d’interventions policières.
Afghans, Somaliens, Éthiopiens, Soudanais…
en attente d’un rendez-vous à l’OFII pour déposer une demande d’asile.
10 coups de fil, 100, 300 et toujours pas de réponse.
La municipalité. Visible par son absence.
Un point d’eau pour des centaines de personnes. Puis 6.
Pas de toilettes. Puis une dizaine de sanisettes.
L’attente dans le camp. L’ennui, le racket, les bagarres.
La solidarité. Les associations solidaires qui distribuent des repas,
des tentes, des couvertures, des aides administratives, une présence.
Les semaines ont passé.
L’automne est arrivé, la pluie, le froid.
Les cuisines sont apparues.
Les maladies aussi.
Le désespoir, la colère, l’incompréhension.
Un mort un jour. De froid.
600 tentes, 700, 800.
2000 personnes qui ont fui la guerre,
attendent que leurs droits de demandeurs d’asile soient respectés.
3000 personnes.

Je suis allée dans le camp de la porte de Paris entre la mi-août 2020 et le 17 novembre, jour de l’évacuation du camps par les forces de police, qui ce jour là ont embarqué près de 2000 personnes en direction de divers hébergements, mais en ont laissé plusieurs centaines sur le carreau. Pire, le camps ayant été démantelé, les personnes restantes ont été chassées de la Porte de Paris, contraintes de s’enfuir dans les rues de Saint-Denis, pourchassées par la police alors que ces gens n’avaient commis aucun délit. Aucun autre délit que d’avoir voulu chercher asile en France.

En travaillant sur ce diaporama, je me suis rendu compte à quel point j’avais été aussi traumatisée par cette chasse à l’homme au milieu des gaz lacrymogènes qui ont fait plusieurs blessés. J’avais couru aux côtés d’exilés qui portaient leurs seuls biens dans des sacs qu’ils étaient contraints d’abandonner durant leur fuite. C’est un des pires moments que j’ai vécu en faisant de la photo.

Mais j’ai aussi compris avec ce travail qu’un campement d’exilés, ce ne sont pas les chiffres que j’ai donné plus haut. Un campement, ce sont des moments vécus par des êtres humains. C’est du jeu et de la bagarre, de la faim et de la distribution alimentaire, de la cuisine et de la débrouille, des gestes solidaires entre ceux qui ont des couvertures et celui qui arrive sans rien ; de la violence de la part de petits clans qui rackettent les autres et parfois viennent vivre dans le camps uniquement pour développer un business. C’est surtout des gens qui attendent. Longtemps. Un rendez-vous à l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration. Un rendez-vous qu’on peut mettre des semaines à obtenir, et dans ce temps là on a tout le loisir de penser à notre jeunesse gâchée sur la route de l’exil.

Frédérique LE BRUN